Le sens constructiviste (2)

Nous avons vu dans notre précédent article la construction élémentaire du sens. Nous allons à présent monter d’un cran dans la compréhension de cette construction, ce qui nous permettra, plus tard, de passer à la pratique managériale.
Assimiler une nouvelle information ou connaissance est une opération d’inclusion dans nos structure cognitives, que nous pouvons appeler notre être. Ce nouveau savoir est en quelque sorte statique. Il correspond bien au pôle assimilation ; il subira des ajustements mais s’inscrira bien dans notre patrimoine cognitif, prêt à être utilisé le moment venu. A ce nouveau savoir-être correspond un savoir-faire issu lui de l’adaptation de cette nouvelle connaissance à l’environnement vécu. L’individu fournit un effort qui conduit à un rééquilibrage du savoir en cours d’assimilation. Ce nouveau savoir est actif. Un bon équilibrage de ces deux pôles doit conduire au troisième pôle nommé ici compréhension (en latin cum-prehendere veut dire prendre avec soi).


Pour illustrer par un exemple personnel, je me rappelle avoir eu un professeur de physique, durant mes études supérieure, particulièrement brillant. Toutes les formules étaient démontrées et c’était un plaisir d’assister à ses cours. Il me semblait, pendant le cours, que je comprenais parfaitement bien tout ce qu’il exposait. C’était faux. Le savoir cognitif semblait être disponible mais je me rendais compte qu’appliquer les belles formules si élégamment amenées en cours pour résoudre des problèmes concrets était une autre paire de manches. C’est sa pédagogie bien huilée consistant à démontrer les nouvelles formules à partir de celles déjà acquises, donc d’appliquer une approche constructiviste à sa pédagogie, qui donnait cette fausse impression de compréhension. L’arbre de connaissance interne donnait l’impression de se construire sans autre effort que celui de percevoir avec attention l’énoncé du cours. Il manquait à ce savoir, un savoir-faire. Ce savoir-faire n’était acquis que plus tard, et par l’effort de faire, lors des travaux dirigés et travaux pratiques. Après cet effort revisiter le cours prenait une autre dimension. La compréhension n’était vraiment présente qu’à ce stade.


Pour mieux fixer le sens et la compréhension nous pouvons faire l’expérience suivante : se rendre les yeux fermés devant un tableau exécuté selon la technique du pointillisme. Le nez collé sur le tableau nous avons un niveau de compréhension de l’œuvre qui ne dépasse pas le niveau d’une cacophonie de tâches colorées. Malgré tous les efforts que nous pouvons faire pour « comprendre » cette cacophonie de tâches, il reste impossible de lui donner un sens. Puis à mesure que l’on prend de la distance, en se reculant, une réelle compréhension de l’œuvre apparaît. La cacophonie, en un déclic, se transforme en une symphonie colorée, la perception change virtuellement d’objet par une nouvelle focalisation de l’attention et un train d’impressions nouvelles, bien qu’issues de la même image, afflue. nous percevons le vent qui s’engouffre dans les voiles du bateau, la brume épaisse au loin et le ondulations du fleuve.  L’adaptation à l’œuvre nous conduit à une compréhension et un sens nouveaux. Il est ici intéressant de constater que le même objet a changé de sens. Si nous faisons l’expérience à présent de revenir à la position que nous avions lors du déclic, nous nous apercevons que nous ne lâchons plus aussi facilement le nouveau sens acquis. Pour ceux qui en doutaient encore, le sens n’est pas une qualité de l’objet ou de la situation, mais une construction individuelle, autrement dit les choses n’ont pas de sens en soi, c’est l’individu qui lui donne un sens par une construction individuelle de l’esprit. Comprendre cela est pour le manager une clé majeure.
On peut dire aussi que la compréhension issue d’un bon dosage de l’alliage « être » et « faire » correspond au développement naturel de la personne. Par ce fait elle la valorise et prépare bien le terrain d’un puissant engagement futur. Il est donc important, pour le manager, de s’assurer que les points importants d’une stratégie ou d’un projet soient bien compris.

Nous mettrons plus à l’épreuve ce modèle dans un prochain article, il montre que la compréhension, disons d’une situation, passe par un bon équilibre entre savoir cognitif, savoir-être, et savoir comportemental, savoir-faire. Jean Piaget, avec les cognitivistes, a lutté contre la simplification béhavioriste (comportementaliste). C’est ce qui l’a conduit à nous délivrer son modèle constructiviste. Nous examinerons avec plus de détails dans un prochain article, en quoi les apprentissages reposant sur le modèle béhavioriste, ne s’occupant que du savoir-faire, induit une certaine efficacité d’une part mais prive l’individu d’une compréhension construite d’autre part. La compréhension, ou conception d’une chose, d’une situation, nous donne un point de repère sur le côté «statique» du sens. A mettre entre guillemets car le sens n’est pas plus statique qu’une image isolée d’un film. La dynamique du sens a à voir avec l’intentionnalité que nous explorerons plus en détail dans un prochain article.
Nous approfondirons aussi les axes de motivations internes qui permettent à l’individu de former une perception unique de cette impalpable réalité.

Nota :
Merleau-Ponty, dans son étude sur la perception : « Phénoménologie de la perception », indique que le simple fait de percevoir une tâche sur un fond uni, perception la plus élémentaire qu’il soit, est déjà chargée d’un sens. Si nous appliquons cette expérience de la tâche à notre modèle, nous voyons bien que la focalisation de l’attention va se faire lorsque la sensation visuelle va nous alerter de la singularité de la figure géométrique posée sur le fond uni. L’adaptation à ce choc perceptif va nous conduire à nous représenter l’image comme une couleur, plus dense et plus résistante que celle du fond ininterrompu, à repérer les bords de la tache comme « appartenant » à la tache elle-même. Ce savoir-faire acquis nous amène à la compréhension de la situation, que nous nommerons «tâche» si nous sommes à un stade de développement ou le langage est acquis.

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