le Sens Constructiviste (1)

Parler de la perte de sens dans le monde du travail est devenu presque banal. Et si l’on interroge les intéressés sur la raison de cette perte, la réponse n’est pas d’une netteté flagrante. Bien entendu les analyses vont bon train. Les uns accusent la crise, les autres le capitalisme et l’appât du gain, d’autres encore la globalisation, les pressions liées à la performance, l’actionnariat diffus déconnecté de la gestion de l’entreprise, les délocalisations, le management intermédiaire réduit à n’être qu’un point de consigne et de reporting, etc… ces raisons n’étant d’ailleurs ni infondées ni indépendantes.

Cet article est le premier d’une série sur le sens. Le concept de sens est complexe, nous nous appliquerons à en éclairer ses multiples facettes. Apprivoiser le sens, en comprendre la dynamique c’est disposer d’un outil de management puissant.

Nous commencerons par une première définition du constructivisme.
Jean Piaget, un des pères fondateurs du constructivisme, a bien décrit les étapes d’apprentissage de l’individu. L’individu construit ses connaissances en action et en situation puis par réflexion sur l’action et ses résultats selon deux principes :

Principe d’assimilation :

Tout apprentissage se réalise à partir des connaissances antérieures du sujet. L’assimilation revient donc à réduire l’inconnu à du connu, ou transformer ses connaissances nouvellement acquises en connaissances anciennes. Cette première phase dans le processus constructiviste est donc déformante. Si les extra-terrestres existent nous pouvons douter qu’ils appellent leurs engins des « soucoupes volantes ». Voilà un exemple d’assimilation déformante pour illustrer ce qui se passe lorsque le choc de la nouvelle perception est trop violent, par rapport à l’acquis de l’individu. Heureusement, l’individu perçoit la déformation qu’il a fait subir au nouveau. Le nouveau engendre donc un déséquilibre qui nourrit, en principe, la deuxième phase du paradigme constructiviste qui repose sur le deuxième principe.

Principe d’accommodation :

Tout apprentissage repose sur la transformation de ses connaissances antérieures. L’accommodation est le processus que conduit l’individu pour différencier ses connaissances antérieures, les réorganiser de telle sorte que la nouvelle situation soit correctement représentée dans la structure de connaissances de l’individu. Selon le point de vue constructiviste une connaissance ne peut donc jamais exister isolément mais se rattache toujours à une structure de connaissances acquises. L’accommodation est le rééquilibrage du déséquilibre engendré par la déformation due à l’assimilation. Les deux processus conduisent donc à l’adaptation des connaissances à la situation nouvelle.
Voilà qui nous donne un premier éclairage. Ces deux phases sont essentielles pour donner du sens à une situation nouvelle. Nous allons pousser un peu plus loin ce modèle et y introduire d’autres notions.

Tout cycle constructiviste commence par une perception. Cette perception a déjà déformé l’impalpable réalité par la limitation de nos organes de perception et la série de filtres cognitifs dont nous sommes munis et sur lesquels nous reviendrons. Une focalisation de l’attention vers des perceptions pertinentes, dont le déclenchement peut être motivé ou contraint, va permettre à un train d’impressions d’arriver à notre être pour y être assimilées. Les autres processus d’adaptation et celui que j’introduis dans cet article d’acquisition démarrent quasi simultanément. Comme j’aime bien les constructions triangulaires je vais représenter ce modèle simple sous forme de triangle.

Nous avons vu que l’assimilation, outre les déformations dues à la perception, produit une déformation de la chose perçue pour la rendre similaire à une entrée de nos structures cognitives, la perception interne de cette déformation, par rapport à l’environnement vécu, est mobilisatrice et motive, par l’émotion générée, l’adaptation, le deuxième point, de cette nouvelle assimilation en cours. On nomme parfois, dans la littérature dédiée aux sciences de l’éducation, ce point du processus intégration. L’émotion est capitale. J’ai trouvé sur le web, pour ceux qui peuvent lire l’anglais, une petite perle qui résume bien le rôle de l’émotion dans le processus constructiviste d’apprentissage (une conversation dans le jardin).  L’appropriation, ou acquisition, de cette nouveauté termine le cycle constructiviste élémentaire. Il est important de noter que chaque point de ce triangle est important. Pour l’assimilation, il est important de bien focaliser l’attention afin de permettre à un volume suffisant d’impressions cohérentes et pertinentes de nous parvenir. Si le message est délivré par une personne il doit avoir la forme adéquate afin que toutes les informations du savoir s’enregistrent correctement. Pour l’adaptation, il est important que l’effort à délivrer soit significatif mais mesuré cependant. S’il est trop faible, le savoir reste, majoritairement au moins, cognitif et s’il est trop fort, l’adaptation risque d’être trop lourde à gérer et peut mener à la démotivation. L’acquisition naît d’elle-même si les deux autres pôles sont bien équilibrés. Cette petite description en trois phases du processus constructiviste ne doit pas laisser penser que le sujet est passif et que les trois phases sont successives.

L’émotion générée par la nouveauté des premiers trains perceptifs qui vont enclencher le mécanisme d’adaptation, va aussi, en réponse à l’adaptation, aider à la focalisation de l’attention et au questionnement de l’impalpable réalité, représentant l’activité du sujet. Cette activité de perception active va générer l’information unique qui sera acquise. Alfred Hitchcock a réalisé un court métrage qui rend bien compte de cette activité unique de construction de l’information liée à un même événement (il s’agit d’un incident de la circulation et le court métrage s’appelle « Incident at a corner » de la première série de « Hitchcock présente » avec Vera Miles et George Peppard). L’incident est filmé trois fois selon trois angles différents de caméra subjective correspondants à trois témoins qui rapportent bien entendu trois versions différentes du même incident. Une version calomnieuse lancée par une personne mal intentionnée servira de départ à une construction différenciée de l’événement bien éloignée de cette impalpable réalité rendue ici palpable par simplification. Hitchcock rend merveilleusement bien compte de l’action des filtres cognitifs des acteurs sur l’information extraite de l’événement. Le quiproquo tragique qui s’en suit est, sans aucun doute, un condensé de la tragédie humaine perpétuelle.

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